dimanche 29 janvier 2012

Guy Delisle couronné à Angoulême



L'auteur-dessinateur québécois Guy Delisle a remporté dimanche le prix remis au meilleur album décerné par le prestigieux festival de la bande dessinée d'Angoulême.

M. Delisle a obtenu le Fauve d'or pour l'album Chroniques de Jérusalem paru aux éditions Delcourt.
L'artiste y raconte son séjour qu'il a fait dans la ville sainte de trois religions alors que sa conjointe travaillait pour une organisation internationale. Il décrit sur un mode intimiste sa vision du conflit israélo-palestinien.
Selon le blogue du festival qui retransmettait en direct la cérémonie des récompenses, Guy Delisle a été très ému d'avoir été récompensé, affirmant qu'il s'agissait «d'un très grand honneur pour (lui, qui) fait son petit effet».
Il s'est dit honoré d'obtenir ce prix alors que le président du jury était le grand auteur-dessinateur américain Art Spiegelman. Il a rappelé que sans le chef d'oeuvre de Spiegelman, Maus, il n'aurait sans doute pas fait ce genre de BD, une bande dessinée plus intimiste enracinée dans la vie quotidienne de l'auteur.
Guy Delisle a conclu son discours en remerciant les gens qui sont venus lui demander des dédicaces, particulièrement ceux qui ne lisent pas habituellement ce genre de littérature mais qui ont découvert un autre genre de BD.

Le Grand Prix du festival a été décerné au bédéiste français Jean-Claude Denis, auteur-dessinateur de la série Luc Leroi et de plusieurs autres «one shot» dans la collection Aire Libre.
Tous les lauréats sur le site du Festival.


Vous retrouverez également des reportages sur la BD sur le site culturebox:


Les articles à propos de Guy Delisle sur le présent blog:



Des articles de Maxence Knepper sur le site Horizons médiatiques,Yannick Vély sur Paris Match et Fabien Deglise dans Le Devoir.


Portrait: Guy Delisle, reporter d’un nouveau genre


Après la Chine, la Corée du Nord et la Birmanie, c’est en Israël que le BD-reporter canadien Guy Delisle a vécu durant un an. Chacun de ces voyages a été l’occasion de présenter un album documentaire sur la vie au quotidien dans ces zones turbulentes.Les chroniques de Jerusalem, sorties en novembre 2011, paraissent après Shenzhen (2000), Pyongyang (2003) et les Chroniques birmanes (2007). Le dessinateur  y offre une forme de documentaire séculaire et tellement novatrice.
Le XVIIIe siècle éclairé a engendré Zadig, Candide, le Huron, Usbek et Rica dont les « esprits les plus simples »(Voltaire) illuminaient le monde. Ces ingénus se sont évertués à décrire une société par le prisme de ses contradictions et ses absurdités. Le résultat, nous l’étudions dans nos écoles depuis des siècles: c’est dire si l’exercice est pertinent.  La méthode a été remise au goût du jour. C’est en effet dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe. L’exemple le plus probant de ces dix dernières années est le travail du bédéiste québécois Guy Delisle. Après des études en Ontario (Canada), Delisle a vadrouillé à travers l’Europe, l’Asie, l’Océan Indien et l’Amérique, de studios d’animation en maisons d’éditions. C’est le début d’un cycle d’expéditions à faire pâlir Albert Londres.

Grand reporter malgré lui

Delisle, ce n’est pas Tintin. S’il voyage à travers le monde, le crayon à l’affut, c’est avant tout pour suivre sa femme, administratrice de Médecins sans frontières et pour s’occuper de ses deux enfants. Il ne vit donc pas ces pays comme le ferait un grand reporter mais plutôt comme un expatrié qui chronique le quotidien. Pour lui, le dessin n’est pas une finalité mais bien un besoin de comprendre des imbroglios ancestraux (dictature nord-coréenne, conflit israëlo-palestinien, liberté d’expression en Asie, emprise de la Junte sur la population birmanes et emprisonnement d’Ang san suu kyi …). «Lors de mon deuxième séjour en Chine, j’ai commencé à prendre des notes, en me disant que je pourrais utiliser les anecdotes. C’est comme ça qu’est né « Shenzhen ». En revanche, j’ai été invité à travailler au Vietnam mais je n’ai rien trouvé à dire. Pareil à Addis-Abeba [capitale de l'Éthiopie]. Il n’y a pas eu de livre.» confiait-il à Libération le 24 décembre dernier.  Quand le projet aboutit, il en ressort un commentaire social fidèle et une œuvre documentaire au graphisme léché.


Un parti-pris: l’ignorance
Le bd reportage n’est pas un phénomène nouveau. Les américains l’appellent comics journalism ou graphic journalism. Une nouvelle tribu de reporters a troqué le clavier, l’appareil photo, le micro ou la caméra contre les crayons, les stylos et les feutres noirs.  Chez tous les libraires, des dizaines de titres sont alignés depuis une vingtaine d’années. Seulement, à la différence de ces prédécesseurs, Delisle ne joue pas la carte de l’expert. Dans Palestine et  Gaza 56le dessinateur Joe Sacco s’appuyait sur un énorme travail d’enquête pour tenter de cerner « pourquoi et comment la haine a été plantée dans les cœurs ». Le québecois prend le contre-pied. Son parti-pris est simple et il le répète a qui veut l’entendre : « J’arrive là-bas, je ne connais rien ». C’est ce qui en fait l’héritier des héros de Voltaire. Sans background,l’auteur peut écrire sur tout, non sans naïveté, avec un angle quasi enfantin. On aborde avec son recul d’étranger le communautarisme, le Blocus de Gaza, le traumatisme de la deuxième Intifada ou encore l’impuissance des ONG. Tous ces épineux problèmes sont vu par le petit bout de la lorgnette plus exactement par la fenêtre de son logement de Jérusalem-Est. Le bédeiste pointe du doigt mais jamais il ne juge. Au contraire, il fait preuve d’auto dérision, se moquant de son ignorance, de son ethnocentrisme et de son relativisme culturel.
Si on ne doit retenir qu’une seul chose du parcours du journaliste malgré lui, c’est surement sa maîtrise de la spontanéité et de la naïveté. C’est pourtant une construction rétrospective. Les albums ne sont élaborés qu’au retour, avec la distance qui permet de  sélectionner, de subordonner, et aussi de s’éviter le jugement hâtif. Guy Delisle s’impose ce leitmotiv depuis son premier carnet de voyage, même s’il avoue que ce fut difficile de s’y tenir au cœur de la poudrière hierosolymitaine.
Pourtant, la boucle est bouclée. Les expéditions à travers le monde, c’est fini. Dans une interview accordée au journal québecois Le Devoir, le dessinateur à concédé que ses enfants était désormais trop grands pour continuer cette vie d’expatrié permanent.

Maxence Knepper

Guy Delisle: "je ne suis pas un militant"

Après avoir raconté son quotidien en Chine («Shenzen»), en Corée du Nord («Pyongyang») et en Birmanie («Chroniques birmanes»), l’auteur québecois a posé ses valises et ses crayons à Jérusalem. De passage à Paris avant le Festival international de la bande-dessinée d’Angoulême, il a répondu aux questions de ParisMatch.com

ParisMatch.com. Avec «Pyongyang» et «Chroniques birmanes», vous décriviez l’envers d’une dictature. Comment avez-vous procédé pour «Jérusalem», alors qu’Israël est une démocratie et que la situation est de ce fait plus complexe. 
Guy Delisle. Parler de la Birmanie et de la Corée du Nord était effectivement plus simple. Tout le monde est contre les dictatures en place et il n’y a pas à expliquer grand-chose car les gens ne connaissent pas la situation. Je n’avais qu’à préciser les grandes lignes et ensuite entrer dans le récit. Pour «Jérusalem», c’était différent. Nous connaissons tous la scène politique d’Israël et ce que cela représente. L’enjeu était justement d’aller au-delà de cette vision géopolitique. Je ne voulais pas que ce soit une thèse, que cela ennuie le lecteur.
Votre personnage est toujours un candide. C’est une position que vous adoptez vous aussi sur les lieux des vos chroniques ?
Quand je suis arrivé là-bas, je ne connaissais pas trop le contexte. Nous avons su à la dernière minute que nous allions à Jérusalem. Je n’avais jamais mis les pieds au Moyen-Orient. J’avais une idée un peu journalistique de la ville. Ma naïveté était totale. Je n’avais jamais été dans une colonie, je n’avais jamais vu le mur, même en photo.

Comment travaillez-vous concrètement ? Vous prenez des notes continuellement ?
Pour mon plaisir, dans la journée, je fais des croquis et ensuite le soir j’écris des notes sur ce que j’ai vu, ou sur ce que j’ai fait, pour surtout avoir un aide mémoire si je décide ensuite d’écrire un livre. Ce n’est pas automatique, cela dépend de ce que je vis durant une année. Nous avons été au Vietnam, en Ethiopie, sans que cela n’aboutisse sur un ouvrage quelconque. Ensuite, à notre retour en France, je relis mes notes, je revis les histoires. J’enlève des anecdotes mais je ne grossis jamais le trait. Ce serait malhonnête. Tout ce qui est dedans est arrivé.

Ensuite, le côté kafkaïen des choses m’inspire beaucoup. C’est pour cela peut-être que me retrouver dans des dictatures et son lot d’absurdités quotidiennes nourrissent mon travail. Je me souviens en Birmanie, l’histoire de cet homme qui rechargeait la pile de son ordinateur pendant quelques heures dans les quartiers pauvres et ensuite nous faisons descendre l’escalier dans le noir. Ce sont des petits travers du quotidien que l’on ne retrouve pas dans les journaux. Quand je note le soir ces expériences, je me dis que ce sont des témoignages précieux car il faut vivre là-bas pour connaître ces situations, les gens. Je pars du plus petit pour aller au plus grand. J’ai été très influencé par «Une anthropologue en déroute» (de Nigel Barley, Ndlr) où l’auteur explique ses difficultés avec son traducteur, comment ne pas être arnaqué pour les visas, avant d’aborder son travail. La bande-dessinée est un outil extrêmement efficace, concis et peut expliquer très facilement des éléments difficiles à appréhender. Je suis ravi que l’on apprenne des choses avec mes livres et plus précisément «Jérusalem». J’aime quand le divertissement se mélange avec une dimension plus pédagogique.

Malgré le fait qu’Israël soit une démocratie et donc que la parole est plus libre, on ressent dans votre livre la difficulté des habitants à communiquer.
C’est vrai que là-bas on vous dit sans cesse, «toi tu ne peux pas comprendre, tu ne connais pas la situation ici, tu n’es pas juif». Parfois dans les conversions, un juif peut dire à un autre juif qu’il ne peut pas comprendre car il n’était pas là à la création d’Israël. Les ultra-orthodoxes ne vous ouvrent pas les portes à bras ouvert, les orthodoxes aussi. Pour eux, avant d’être Canadien j’étais Chrétien. En Birmanie et en Corée du Nord, on évitait les sujets qui fâchent.

Etre père de famille facilite l’approche ?
Peut-être (rires). Je suis là, je m’occupe des enfants et l’on se promène dans la vieille ville. Les militaires que l’on croise avec des fusils d’assaut sont peut-être attendris. Je n’ai pas voulu mettre ce côté papa en avant dans le livre car je l’avais déjà beaucoup fait dans «Chroniques birmanes», mais avec deux enfants, j’ai beaucoup galéré sur place.
Il y a aussi de magnifiques plans de la ville.
Pour mes précédents livres, je travaillais toujours sur des photocopies de mauvaise qualité car j’étais dans des pays où l’on ne trouvait pas du bon papier. Là, j’ai tout fait à Montpellier. J’ai travaillé sur un plus grand format pour soigner les décors. Je voulais que l’on retrouve l’ambiance de Jérusalem et même des détails sur l’architecture de tel ou tel bâtiment. Je ne pouvais pas me balader dans la vieille ville sans avoir envie de la dessiner. J’ai aussi envie de prendre le lecteur par la main et de l’emmener sur les lieux de mes voyages.
Au fil des pages, même si le propos n’est pas politique, on ressent un vrai pessimisme s’installer quant à l’absurdité de la situation.
Quand je suis arrivé, je ne connaissais pas trop le contexte. Je restais assez stoïque quant aux événements qui se produisaient. Bien sûr, en étant sur place avec des membres de Médecins sans frontière, j’ai rencontré des Palestiniens, je me suis rendu à Hébron, et mon ressenti sera différent d’une personne qui resterait à Tel Aviv pendant un an. J’ai un regard nourri par une sensibilité de gauche, je n’ai principalement rencontré que des Israéliens de gauche, des gens merveilleux qui veulent aider les Palestiniens. Je ne porte pas dans mon cœur le gouvernement de droite de Benjamin Netanyahou. C’est une erreur pour Israël et beaucoup d’Israéliens le pensent. Ces gens-là peuvent s’exprimer dans les journaux, témoigner de ce que commet le gouvernement, mais cela n’a pas d’influence sur le terrain. De nouvelles colonies sont installées. On ne peut rester neutre. Quand des maisons de Jérusalem-Est sont détruites malgré des titres de propriété qui datent des Ottomans, des droits internationaux sont bafoués. Je ne vois pas comment on peut revenir de là-bas sans être épouvanté par ce qui est fait. Je ne suis pas militant. Ce sont mes livres qui reflètent mon regard sur le monde. Je ne voulais pas écrire que c’était dur pour les Palestiniens mais qu’on le ressente à la lecture de mon livre. Je suis l’actualité en Birmanie, en Corée du Nord ou en Israël, bien sûr. Quand on a été dans un pays, on reste lié aux gens et à leurs vies.Point final
Yannick Vély




Festival d'Angoulême - Guy Delisle remporte le Prix de la meilleure bande dessinée

Fabien Deglise   30 janvier 2012  Livres
Le Québec a brillé une nouvelle fois au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, en France, où l'auteur Guy Delisle a décroché hier le Prix du meilleur album de l'année pour ses Chroniques de Jérusalem (Delcourt). Ce carnet de voyage au cœur de la Palestine et de ses paradoxes était en compétition contre 60 autres titres majeurs de la bédé francophone publiés l'an dernier et passés au crible par un jury présidé cette année par le dessinateur new-yorkais Art Spiegelman, auteur de Maus (Casterman).

«C'est un grand honneur pour moi, c'est un super moment», a dit le bédéiste au moment de recevoir ce prestigieux trophée, baptisé Fauve d'or, des mains du ministre français de la Culture, Frédéric Mitterand. La cérémonie était retransmise en direct sur le site Internet du festival. «J'ai été souvent nominé sans repartir avec un prix, alors je profite [de ce moment]. Je peux vous dire que ça fait son petit effet.»

Quatrième épisode d'une série de chroniques à travers le monde (Corée du Nord, Chine, et Birmanie), Chroniques de Jérusalem relate l'année passée par l'auteur dans cette ville en 2008, une période trouble dans ce coin du globe marquée entre autres par l'opération militaire baptisée «plomb durci». Il y a élu domicile, en famille, pour suivre sa femme qui travaillait à l'époque pour Médecins sans frontières. L'aventure a donné forme et vie à ce carnet qui, comme pour Pyongyang, Shenzhen et Rangoon, trace les contours de l'absurdité du quotidien dans une zone sous tension, avec intelligence, sensibilité et finesse.

Le récit, mis en cases par le bédéiste originaire de Québec qui vit depuis plus de 20 ans dans le sud de la France, croisait le fer dans la compétition officielle avec des grands du 9e art et leurs créations, dont le Julia et Roem (Casterman) d'Enki Bilal, Les ignorants (Futuropolis) d'Étienne Davodeau, le Polina (KSTR) de Bastien Vivès, qui a reçu le prix de l'Association des critiques et journalistes en bande dessinée (ACBD) l'an dernier, ou encore le 3 secondes (Delcourt) signé Marc-Antoine Mathieu, oeuvre expérimentale saluée par la critique.

C'est la deuxième fois en trois ans que le Québec se distingue à Angoulême qui, en 2010, a honoré Michel Rabagliati pour son Paul à Québec (La Pastèque). L'album avait alors reçu le prix du public. En compétition cette année, l'auteur de Montréal est reparti toutefois du festival international de la bande dessinée, qui a fermé ses portes hier, les mains vides, son dernier album, Paul au parc (La Pastèque), ayant été étrangement placé dans la catégorie jeunesse de la sélection officielle, aux côtés d'oeuvres plutôt enfantines.

Outre Guy Delisle, Jim Woodring a décroché le Prix spécial du jury pour son Frank et le congrès des bêtes (L'Association), alors que Gilles Rochier a obtenu le Prix de la relève pour son TMLP (Éditions 6 pieds sous terre). Le Prix de la série a également été remis à Cité 14 (Les humanoïdes associés) de Gabus et Reutiman.

Enfin, notons que le Grand Prix d'Angoulême, que l'on présente souvent comme le «Nobel de la bande dessinée», est allé cette année dans les mains du dessinateur Jean-Claude Denis, père de la série «Luc Leroi» et auteur récemment des Nouvelles du monde invisible (Futuropolis) ainsi que des deux tomes de Tous à Matha (Futuropolis). Et comme le prix vient avec un privilège, l'homme qui expose dans ses cases un sens raffiné de la narration présidera du coup le jury du prochain Festival d'Angoulême l'an prochain.








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