mercredi 28 mars 2012

«De Gaulle à la plage»

Un entretien de l'auteur avec Mikaël Demets pour Evene.fr en janvier 2008



Déjà auteur de la série 'Aimé Lacapelle' chez Fluide glacial et scénariste du fameux 'Retour à la terre', avec Manu Larcenet au dessin, Jean-Yves Ferri a signé, fin 2007, 'De Gaulle à la plage'. Un sommet d'humour et de parodie : l'un des albums les plus drôles de l'année. L'ouvrage est retenu dans la sélection d'Angoulême 2009.



"Mon seul rival international, c'est Tintin." Cette célèbre sentence, attribuée à Charles de Gaulle par l'entremise de son ministre André Malraux, prend aujourd'hui une dimension toute prophétique, puisque l'ancien président côtoie désormais le reporter belge dans les rayons bande dessinée. La faute à Jean-Yves Ferri qui a décidé de croquer le libérateur de la France, en famille, les doigts de pied en éventail, dans des situations dont l'absurdité n'a d'égale que l'intelligence.

Comment se réveille-t-on un matin en ayant envie de faire un album sur De Gaulle ?

C'est ça qui m'inquiète un peu... Je ne sais pas vraiment, j'ose croire que ce n'est pas une résurgence gaulliste ! Le personnage m'intéressait depuis toujours : pour un peu qu'on ait l'histoire, le XXe siècle, en France, c'est De Gaulle. Et puis un jour, arrive cette idée d'accoler "De Gaulle" et "à la plage". Une fois que vous avez ça, le reste en découle tout seul. Quoique, l'écriture a été difficile : parfois je tombais dans des gags trop gros, trop marrants finalement, qui chahutaient le personnage. Or il fallait, pour que l'album fonctionne, que je reste toujours conforme à l'image de De Gaulle. Le défi, c'était de trouver le ton entre parodie et respect du personnage historique, même si, évidemment, il est traité de manière absurde.

Les faits que vous racontez datent d'il y a 50 ans. Avez-vous eu peur de ne pas être compris, d'autant que la BD a un public assez jeune ? Vous avez réfléchi à cet équilibre entre humour et histoire ?

J'y ai fait très attention. Sur chaque gag, il fallait faire rire, même si le lecteur ne connaissait pas l'histoire. J'avais un problème de lisibilité à résoudre. En plus, pour ceux qui, eux, avaient connaissance des faits, j'ai fait des clins d'oeil à des événements célèbres, au caractère de De Gaulle. Dans l'album, même si une situation est fausse, elle renvoie à un comportement gaullien. Il y avait une vraie logique du personnage à respecter.

Votre histoire se déroule à un moment critique, juste avant le retour au pouvoir du général. Il y avait un trou dans sa biographie, et vous vous y êtes engouffré.


Ce qui m'intéressait, c'était le personnage abandonné de tous. De Gaulle inspire la puissance, mais à la fin des années 1950, il est dans une période où il commence à désespérer un peu. Au lendemain de la guerre, il est celui qui a sauvé la nation, et le chef du gouvernement provisoire. A cause des partis qui reviennent dans ses pattes, il quitte le pouvoir en se disant qu'ils vont vite le rappeler. En fait, cette traversée du désert va durer 10 ans bien tassés. C'est une période où il en a gros sur la patate. Moi, je le récupère juste avant qu'il ne revienne, sauf que je donne ma version de son retour…

Ce qui frappe à la lecture de l'album, c'est le potentiel comique de ce personnage. C'est même étonnant que personne n'y ait jamais pensé plus tôt.

Il avait beaucoup été utilisé dans un sens négatif, beaucoup de caricaturistes ou autres se sont attaqués à lui de son vivant. Ils se sont limités à son rôle politique, et n'avaient sans doute pas le recul pour voir autre chose.Le mettre en scène avec des ressorts différents, ça n'est pas vraiment arrivé. Dans la bande dessinée, on ne l'a vu passer qu'une ou deux fois. Je me souviens que Marc Hardy l'avait par exemple utilisé dans 'Les Libellules'. Mais son image représente tellement de choses qu'elle n'est pas facile à manier.

Pourtant, dès la couverture, sa présence est extraordinaire.

Oui. Il a un physique, un caractère, il a tout. Presque trop même. Le biais que j'ai trouvé, c'est ce dénuement, cette plage. Se servir de De Gaulle pour un rôle historique aurait été quasi impossible : il est trop énorme.

Vous lui avez même rajouté une pointe de Monsieur Hulot.

Ca paraît évident, après coup. D'autant qu'ils sont de la même période. Tati a même été présenté à De Gaulle pour de vrai. Ce jour-là, De Gaulle ne percute pas qui il a en face de lui, alors le gars du protocole lui glisse dans l'oreille "Mon oncle", le titre du film de Tati le plus connu. Alors De Gaulle lui sert la main en déclarant : "Je suis très fier de votre neveu."Authentique, paraît-il. De Gaulle était persuadé de savoir ce que le commun des mortels pensait, c'est ce qui lui donne cet aspect lunaire, très Monsieur Hulot. Immédiatement, avec lui, tout prend un autre relief.

Et le chien Wehrmacht, fils du chien d'Hitler, d'où sort-il ?


Ce n'est pas non plus une invention ! Il en est fait mention dans les entretiens du fils De Gaulle : deux lignes où il explique qu'à Colombey, ils avaient recueilli un chien qui leur avait été offert par un officier de la 2e DB : c'était un rejeton du chien d'Hitler. Quand j'ai vu ça, je n'ai pas pu passer à côté…

Donc il y a quand même eu au moins deux lignes de livres d'histoire lues pour réaliser l'album ?

En fait, j'ai dû lire pas mal de choses. En plus des entretiens de Philippe de Gaulle, j'ai lu les ouvrages de Jean Lacouture sur cette période, ainsi que Max Gallo et un ou deux bouquins, plusieurs articles. Encore une fois, plus on veut faire rire, plus il faut être très rigoureux sur le fond. C'est dans un cadre précis que l'humour fonctionne le mieux. J'ai juste triché sur un point : il aurait fallu le faire revenir en 1958, mais il est revenu en mai, du coup ça marchait pas avec mon histoire estivale. Donc j'ai fait commencer mon histoire en 1956. Mais bon, on va dire que c'est une licence poétique…

L'album a un dos toilé à l'ancienne, des couleurs tramées comme dans notre enfance, une fausse liste de collection en 4e de couverture. Vous avez réalisé votre fantasme : avoir un vieil album à votre nom ?

Ca fait partie du gag. C'est aussi ce qui a permis à mon histoire de passer en installant immédiatement la distance nécessaire. Je voulais faire un bouquin qu'on pourrait trouver dans le grenier de sa grand-mère. Si on le retrouve dans 50 ans, j'espère qu'on croira qu'il est d'époque !

'De Gaulle à la plage' marque votre ancrage dans ce format 6 cases, déjà utilisé dans 'Le Retour à la terre'. Vous avez trouvé votre cadre idéal ?


J'ai découvert, par élimination, que j'étais meilleur dans ce format court. Mais ce n'est pas non plus le format le plus commun, qui se réduit souvent à 3 ou 4 cases. Pour moi, c'est trop synthétique. Il faut être mathématicien du rire, c'est un truc de folie ! Alors que le format 6 cases, l'action est plus longue. En plus, mes gags forment une histoire sur tout l'album. Ca me permet de jouer sur l'ellipse permanente, ou sur le retour des gags : un gag annonce la couleur, on l'oublie, et quelques pages plus loin, il ressort. Le gros du travail, sur du 6 cases, c'est le montage, le choix. J'ai des paniers entiers de gags qui partent à la poubelle parce qu'ils m'emmenaient dans des impasses ; il faut choisir ceux qui permettent de raconter une histoire.

Derrière votre humour, que ce soit le 'Retour à la terre', derrière les aventures décapantes d'Aimé Lacapelle le paysan ou dans vos 'Fables autonomes' et leurs décors à la Steinbeck, vous avez toujours cette volonté de parler de la campagne, des gens dont on ne parle pas. L'humour n'est finalement qu'un moyen ?

Seul le lecteur peut le dire. Pour moi, ce qui est le plus drôle, ce sont les choses pas drôles. Souvent, à l'origine d'un gag, il y a une chose douloureuse ou dramatique. Simplement, on va en parler différemment. Si on gratte un peu, un gag n'est vraiment pas marrant. J'ai coutume de dire - pour rigoler - que je ne fais pas de l'humour mais que les gens rient.

'De Gaulle à la plage' a-t-il une suite de prévue ?

Je vais réaliser trois pages sur Mai 68 pour Pilote. Les gens me demandent de continuer, pourtant je ne compte pas le faire. Mine de rien, ça me rendrait fou de devenir un spécialiste de De Gaulle… (Rires) Par contre, j'ai bien envie de le réutiliser dans d'autres formats, ponctuellement.

Quid du 'Retour à la terre' ?

Je viens de commencer l'écriture du prochain avec Manu Larcenet, on ne se presse pas, on essaye de donner un vrai contenu à l'album. Chaque nouveau volume du 'Retour à la terre' fait progresser les personnages, alors je ne peux pas aller n'importe où. 'De Gaulle…' est beaucoup plus fou à écrire : 'Le Retour à la terre' est tributaire de la vraisemblance que j'ai donné à cet univers.

Dernière question, puisqu'Angoulême clôt l'année 2007, y a-t-il un album qui vous a marqué cette année ?

Je suis plutôt fan de séries qui commencent à dater. Des classiques américains, comme les 'Peanuts'. J'aime la patine que le temps donne aux histoires anciennes. Donc c'est dur de se prononcer pour les sorties récentes, mieux vaut me reposer la question dans dix ans... J'aime les séries enfantines, comme 'Jojo' d'André Geerts, ou les séries apparemment anodines, comme 'Sac à puce', qui véhiculent une franche bonne humeur, un bon état d'esprit. Ce n'est pas si facile. Je préfère ça à des BD qui se la jouent un peu artistes. Je trouve qu'on constate parfois un manque d'alchimie, des albums qui sont vraiment des albums, pas juste du dessin ou un bon texte.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire