mercredi 18 septembre 2013

Zep coupe le cordon avec «Titeuf»

Stépharne Jarno sur le site Télérama

Photo : Manuel Braun pour Télérama


« Titeuf » lui a apporté le succès. À 45 ans, le dessinateur nous explique pourquoi il coupe le cordon avec son héros. Et se renouvelle avec « Une histoire d'hommes ».

Attention, un Zep peut en cacher un autre. En créant le personnage de Titeuf au début des années 90, le dessinateur suisse a décroché la timbale. Les aventures et les émois du préado à la houppe blonde et de sa bande de copains ont conquis deux générations de collégiens et leurs parents. Vingt millions d'albums vendus, un film et une série d'animation diffusée dans deux cent quarante pays ( !) : au-delà des chiffres et du phénomène éditorial, Titeuf est devenu une icône du 9e art, au même titre qu'Astérix ou Gaston Lagaffe.

Zep, né Philippe Chappuis, passe d'ailleurs pour le dernier maillon de la BD d'humour franco-belge, l'héritier légitime de Franquin, Goscinny, Gotlib et autres Margerin. Une histoire d'hommes, son nouvel album, explore pourtant un registre très différent. Celui du (res)sentiment, des illusions perdues et des secrets trop lourds à porter. Poignantes, douces-amères, dessinées dans un style complètement différent, ces retrouvailles entre quatre copains qui jouaient dans le même groupe rock vingt ans plus tôt comptent parmi les événements de cette rentrée BD.

Pourquoi ce virage ? 

Parce que, à 45 ans, il est temps de montrer d'autres facettes de moi, de raconter des histoires plus adultes et pas nécessairement drôles. J'ai toujours dessiné à côté de Titeuf des croquis, des choses vues, des scènes de rue, mais ça ne sortait pas de mes carnets. Pendant longtemps, je ne me suis pas donné le droit de raconter autre chose que des histoires comiques. Même lorsque j'abordais des registres plus graves ou mélancoliques, comme dans Découpé en tranches (paru en 2006), il y avait toujours une chute, une pirouette.

Et puis un éditeur m'a convaincu de franchir le pas. J'ai la hantise d'être enfermé à vie dans le même registre. Je pense souvent à Franquin, qui à la fin de sa vie se sentait obligé de continuer les aventures de Gaston. Le cœur n'y était plus, les dernières histoires n'étaient pas terribles, mais il le faisait parce qu'il pensait que le public attendait ça de lui. La répétition des mêmes gestes rend malade, mais les grands anciens de la BD étaient des hommes de devoir.

Je me rappelle la réaction d'Uderzo lorsque je lui ai apporté Découpé en tranches :« C'est bien, mais pourquoi tu fais ça alors que tu as déjà Titeuf ? » Je lui réponds que c'est par plaisir. « Ah oui, le plaisir, moi j'aurais bien aimé »… Le métier a évolué. Aujourd'hui, les gens qui font de la bande dessinée sont considérés comme des auteurs et ont le droit d'avoir des états d'âme, de prendre leur temps ou de suivre leurs envies. La seule obligation que nous ayons, c'est de nous renouveler.

Graphiquement, vous avez changé votre style pour cet album…

En fait, j'ai toujours pratiqué un dessin réaliste dans mes carnets. Quand je fais de la BD humoristique, je pars du réel pour aller vers un dessin plus caricatural. Pour Une histoire d'hommes, j'ai inauguré un style « entre-deux ». Cela m'a pris un peu plus d'un an pour arriver à l'apprivoiser. En fait, j'ai dessiné l'album trois fois entièrement, avant de trouver la version définitive. Beaucoup de subtilités sont venues à la deuxième et à la troisième version.

Val d'Illez, 2003


J'ai dû apprendre un autre style de mise en scène : ce n'est pas une histoire d'action, c'est un huis clos ; la manière dont les personnages bougent, les « mouvements de caméra » ne sont pas les mêmes. Et puis, après vingt ans de Titeuf, il a fallu se débarrasser des tics de dessin.

Justement, que devient Titeuf ?

Je n'arrête pas. C'est ma série, mais elle se nourrit aussi de ce que je fais à côté. Titeuf, c'est ma part d'enfance, une période où j'ai passé beaucoup de temps à rêver, à lire énor­mément de BD, à imaginer ma vie plutôt que la vivre et avec laquelle j'ai gardé un lien très fort. Je ne porte pas pour autant un short et une casquette en arrière. Avec Titeuf, ce n'est pas non plus une vision idéale de l'enfance que j'entretiens : dans ses histoires, il y a quelque chose de dur, un certain désenchantement en filigrane. Curieusement, la poésie, l'utopie, je les ai trouvées en devenant adulte et je les réinsère dans cet enfant-là…

J'ai eu la chance incroyable de créer un personnage que les gens aiment et ont adopté. Je reçois des courriers bouleversants d'enfants ou d'adultes qui s'identifient à Titeuf, le considèrent comme un frère ou un fils. Ils y trouvent même souvent des choses que je n'y ai pas mises. Pourtant, au départ, personne ne voulait de ce personnage, l'ensemble des maisons d'édition l'a refusé. Au début des années 90, le secteur était en crise, tout le monde se recentrait sur l'archiclassique, l'âge d'or des années 50-60, les histoires de Barbe-Rouge, les Blake et Mortimer…

Je pensais que la BD c'était foutu pour au moins dix ans et j'avais presque abandonné l'idée d'en vivre ; je faisais des affiches, de l'illustration, du dessin de presse. Je continuais à dessiner ce personnage pour mon plaisir et je publiais ses aventures dans un fanzine genevois, quand l'impensable s'est produit : un éditeur de chez Glénat m'a appelé.

Vous ne vous sentez pas un peu cannibalisé par votre personnage ?

Pas entièrement, non, pour l'instant il m'a juste bouffé le bras ! C'est surtout un sésame extraordinaire qui m'a permis de faire un film, des expos, un tas de choses que je n'imaginais même pas. Et puis Titeuf a évolué dans le temps, dans la manière dont je le dessine autant que dans son quotidien. Il grandit, il change, heureusement d'ailleurs.

On ne peut pas faire cent mille histoires en gardant un personnage identique. Prenez Garfield, cela fait bien longtemps qu'il ne se passe plus grand-chose, ce sont toujours les mêmes gags. En revanche, j'ai une grande admiration pour Le Spirit. Will Eisner a eu le génie de faire vieillir son personnage en même temps que lui. Il a arrêté la série pendant des années, puis l'a reprise le temps d'une dernière histoire, où il a dessiné son héros sous les traits d'un septuagénaire en bout de course. Je trouve ça très beau.

Tout petit déjà, vous dessiniez ?

Oui, une vraie vocation. À 12 ans, je savais déjà que je serais auteur de BD. Pourtant, ni dans ma famille ni dans le voisinage il n'y avait d'artistes. J'ai grandi dans une cité de la banlieue genevoise. Dans mon immeuble, il n'y avait que des inspecteurs de police et des conducteurs de transports publics. Les profs se moquaient de toutes les vocations un peu étranges. Quand je parlais de BD, ils se marraient et me disaient que c'était ridicule. Et pourquoi pas cosmonaute ? Le top, c'était espérer devenir avocat, médecin ou notaire. Ou banquier, évidemment.

La BD avait mauvaise presse, mes copains et moi étions perçus comme des attardés. Mes parents, qui tenaient à ce que ma sœur et moi fassions les études qu'eux n'avaient pas pu faire, commençaient à s'inquiéter. Heureusement, Achille Talon m'a sauvé ! À 8 ou 9 ans, je connaissais ses albums par cœur, ce qui me donnait une avance monstre en grammaire et en orthographe sur mes camarades. Et donnait tort aux profs qui pensaient que lire des bandes dessinées rendait abruti.

Plus tard, j'ai eu une discussion avec mon père qui m'a expliqué être entré dans la police pour avoir un poste stable, de l'argent et fonder une famille. À ses yeux, c'était primordial, sans doute parce son père l'avait abandonné enfant, mais son métier ne lui apportait guère de satisfaction. Il m'a encouragé à suivre une voie qui me plaise, « Tu seras au moins riche de ça toute ta vie », m'a-t-il dit. Ces mots m'ont complètement décomplexé et je me suis empressé de suivre son conseil.

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Un aperçu du livre:








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